jeudi 17 septembre 2009

Surprise de Harvard

J'ai récement feuilleté l'édition de septembre 2009 du prestigieux Harvard Business Review dont le thème était l'économie « verte ». Sans grande surprise, rien de bien nouveau dans ce dossier. Par contre, dans la section Forethought (prévision, anticipation), un titre m'a tout de suite frappé: Doing Business in a Postgrowth Society. Compte tenu du contexte, on peut dire que l'auteur James Gustav Speth n'y va pas de main morte. L'article commence ainsi:
Les dirigeants d'entreprises semblent supposer, à toutes fins pratiques, que l'économie des pays riches peut (et même doit) continuer à croître le plus possible malgré les preuves de plus en plus accablantes des effets néfastes de la croissance sur l'environnement, entre autres. Ils doivent s'habituer à l'idée d'une société sans croissance.
La croissance illimitée du PIB est aussi insoutenable que la croissance illimitée de la population. Pourtant, l'engagement envers la croissance économique sans fin persiste alors qu'elle cause plus de problèmes qu'elle n'en règle. Elle sape les emplois, les communautés, l'environnement, les sentiments d'appartenance et de continuité et même la santé mentale. Cette croissance nourrit une recherche forcenée d'énergie et d'autres ressources à l'échelle mondiale. Elle repose sur une société de consommation fabriquée par le marketing et qui ne satisfait pas les besoins humains les plus fondamentaux.
Bientôt, les pays développés évolueront vers le monde de l'après croissance où la qualité de vie au travail, la nature, les communautés et le secteur public ne seront plus sacrifiés sur l'autel de la sacro-sainte croissance du PIB et où les promesses illusoires d'expansion ininterrompue ne pourront plus servir d'excuses pour ignorer les besoins sociaux impérieux.
La crise économique nous enseigne déjà à vivre plus simplement. Le fait d'être moins tournés vers l'acquisition et la dépense (en partie parce qu'il y a moins à dépenser) aide les consommateurs (!) à redécouvrir que les choses vraiment importantes dans la vie ne se trouvent pas au centre commercial ou, même, ne sont en vente nulle part. Le matérialisme, nous le savons maintenant, est un poison pour le bonheur. [...]
Dans cet article, l'encadré Will Technology Alone Save Us? met en perspective la foi envers les solutions technologiques:
[...] faire face aux défis environnementaux tout en poursuivant une expansion économique rapide demanderait un rythme de changement sans précédent et extrêmement ardu.
Jusqu'à maintenant, la croissance a toujours annulé les gains technologiques destinés à protéger l'environnement. Il est concevable, par exemple, que telle innovation puisse réduire tel type d'émissions industrielles de moitié; mais si la croissance double le nombre d'usines, nous ne serons pas plus avancés. L'habitation, les appareils et les transports deviendront inévitablement plus efficaces sur le plan énergétique, mais ces gains seront annulés par des maisons plus grandes, une pléthore de nouveaux appareils et par une augmentation des distances parcourues. [...]
Ce M. Speth n'est pas le dernier venu. Il est le doyen de l'Université Yale. La surprise ne vient pas tant de la nature de ses propos, que du fait qu'ils aient été publiés dans ce magazine lu par un très grand nombre de gestionnaires de haut niveau. Son texte donne l'impression qu'il veut simplement réformer le système capitaliste et l'adapter aux nouvelles réalités. Une entrevue qu'il a accordée à TreeHugger révèle un peu plus le fond de sa pensée:
[...] Nous avons besoin de consacrer plus de temps à imaginer un nouveau narratif qui nous rassemble. [...] Nous avons besoin d’un conception alternative de ce que l’économie est réellement.
L’expression « économie soutenable » m’attire. L’économie devrait réellement être l’instrument qui soutient les communautés, le bien-être humain et la nature. [...] Pour le moment, l’économie n’est qu’une fin en soi... au service des puissants. Elle n’existe pas pour nos communautés. [...]
Le capitalisme et le socialisme ne sont que des concepts sur le mode de propriété. Cette lutte à propos de qui possèdera quoi est moins importante aujourd’hui que la lutte pour trouver un sens à tout ça. Qui l’économie sert-elle réellement? Il s’agit moins de savoir qui possède que de savoir qui l’économie soutient. [...]
Plus loin, à propos du mouvement environnemental:
Pendant toutes ces décennies, le discours environnemental a été dominé par les avocats, les économistes et les scientifiques. Ce discours faisait l’affaire puisque nous sentions fondamentalement que la population suivait. Ce qui était le cas dans les années 1970. Mais Reagan a fait campagne contre l’environnement en 1980 et il a gagné.
[...] Le rôle primordial de la motivation, de l’esprit et du cœur nous avait échappé à l’époque, mais nous le voyons mieux aujourd’hui, je l’espère. Ce sont des sources d’action de nature psychologique et philosophique. Les arts, la littérature et la poésie y jouent un grand rôle.
L'introduction de son livre The Bridge at the Edge of the World mérite le détour. Speth y démontre que le système économique actuel doit être remis à sa place en tant qu’outil au service des sociétés humaines. Cette économie doit être imaginée et nommée. Speth s’interroge sur l’étiquette que devrait porter cette nouvelle économie (j’ai déjà entendu « communalisme »). Les mots « capitalisme », « socialisme » et « communisme » appartiennent à l’ancien monde. Et si nous inventions cette nouvelle économie du nouveau monde avant de lui trouver un nom? Après tout, plusieurs artistes ne nomment leur œuvre qu’après l’avoir terminée...