mercredi 10 juin 2009

Un monde plus petit, beaucoup

Tout de suite après une fin de semaine occupée, vendredi par le visionnement du film Home, samedi, par une opération nettoyage des berges du fleuve Saint-Laurent à Longueuil, suivie par une visite à l'événement Vivre vert où Yves Perrier donnait une fort instructive conférence sur les toits et les murs végétaux, et un dimanche à Kingsey Falls où se tenait la première édition de Rouler vert, une conférence de fort calibre donnée par Pierre Langlois, auteur de Rouler sans pétrole, je me suis lancé dans la lecture de Why your World is about to become a whole lot smaller de Jeff Rubin. Il me semblait impossible de ne pas le résumer ici puisqu'il faudra sans doute un bout de temps avant qu'il ne soit traduit. Mais d'abord, François Cardinal de La Presse en a déjà fait une bonne partie en plus d'y ajouter une entrevue avec l'auteur. Pourquoi s'en priver?
Les conclusions de Rubin rejoignent celles de James H. Kunstler et des Initiatives de Transition : pour la plupart des gens, une diminution importante de la quantité de pétrole utilisée, une vie beaucoup plus locale, axée bien davantage sur l'agriculture et la fabrication, moins de banlieues, plus de densité, plus de transports en commun, moins de voyages lointains et, en général, moins de superflu et d'éphémère.

Le bouquin de Rubin commence avec une histoire savoureuse :

« Dans l'économie globale, on ne pense pas aux distances en milles mais en dollars. Si le pétrole est bon marché, la distance entre une usine et une salle de montre ou entre un champ et le supermarché n'a absolument aucune importance.

Un saumon de l'Atlantique pêché au large des côtes de la Norvège se promènera autour du monde au même titre qu'un roulement à billes ou un microprocesseur. Premièrement, il est apporté à un port norvégien où il est congelé et transféré dans un autre navire, lequel à son tour, l'apportera dans un plus grand port comme Hambourg ou Rotterdam où il sera transbordé dans un autre bateau et envoyé en Chine où le saumon entier sera décongelé et transformé en filets grâce aux mains expertes de milliers de jeunes femmes dans une immense usine de Qindao, la capitale chinoise de transformation de poissons. Puis les filets sont recongelés, emballés, placés sur un vaisseau porte-containers et expédiés à un supermarché européen ou nord-américain. Deux mois après avoir été capturé, le saumon est décongelé, disposé sur un lit de glace concassée sous un éclairage appétissant et vendu comme "frais". »

Conséquemment, si le pétrole est cher, la distance redevient importante et ces frivolités ne peuvent plus continuer. Le pic pétrolier = le pic de la globalisation.

Si l'on croit certains experts, ceux-ci ont une grande connaissance des récessions. Rubin n'est pas d'accord :

pp. 5 à 7: « Mais l'histoire de l'économie globale moderne n'est pas si longue, et il vaut la peine de se demander si l'on peut s'attendre à ce que les comportements observés dans les dernières décennies se répéteront à l'avenir. Il y a déjà eu des récessions déclenchées par des prix élevés pour le pétrole, mais dans chaque cas le remède était à portée de main: de nouveaux approvisionnements de pétrole bon marché.

C'est simple — tant qu'un tel approvisionnement existe. Sinon, la façon de se sortir d'une récession doit être réinventée parce que rien ne ressemble à ce qui s'est déjà passé. [...]

Si vous avez compris que la demande [en pétrole] était très forte pour une quantité relativement fixe [ce qui explique les prix élevés de l'été 2008], vous aviez et avez encore raison.

Cela signifie que dès que l'économie donnera des signes de reprise, les prix du pétrole vont reprendre leur trajectoire haussière. Et plutôt tôt que tard étant donné que les projets d'exploitation des gisements plus coûteux ont été abandonnés suite à la baisse du prix du baril consécutive à la récession. Le prix du brut va continuer à augmenter jusqu'à ce qu'il déclenche une nouvelle récession. Tant qu'il faudra une quantité spécifique de pétrole pour produire un certaine quantité d'argent ou de PNB, nous verrons nos économies étranglées par la hausse des prix dès qu'elles se rétabliront après une récession.

Mais les choses ne doivent pas nécessairement se passer comme ça. Une façon de réduire la quantité de pétrole nécessaire pour faire marcher l'économie est de rapetisser votre monde. Et c'est exactement ce qui va se produire. »

Ces jours-ci, le baril de pétrole se transige à environ 70$US simplement parce que la détérioration de la situation économique semble ralentir. Une légère reprise est prévue en 2010. Avant le pic, la production de pétrole augmentait à peu près au rythme de la demande. Plus on en voulait, plus on en produisait. Maintenant que la demande excède l'offre, on se retrouve dans un environnement à somme nulle (zero-sum game). Quand quelqu'un augmente sa consommation à un endroit elle doit diminuer ailleurs.

p. 64: « Il ne peut y avoir qu'un certain nombre d'automobiles [et d'autres moyens de transport alimentés avec du pétrole] sur la route, parce qu'il y a une quantité limitée de pétrole pour les faire rouler. Donc, pour chaque Tata [Inde] et Chery [Chine] qui sort de chez un concessionnaire de l'autre côté du globe, une autre auto devra être laissée dans l'entrée quelque part ailleurs — peut-être dans votre entrée.

C'est dans les pays où le prix de l'essence est le plus élevé et où la façon de se déplacer est la plus sensible aux changements de prix du carburant que ces transferts nécessaires auront lieu. Ces marchés sont tous situés dans les riches pays de l'OCDE. De loin le plus gros marché et le plus sensible aux prix à la pompe est aux États-Unis où les ajustements se font déjà sentir. »

La tendance va s'accélérer parce que les pays producteurs de pétrole en consomment de plus en plus et en exportent de moins en moins. Pas surprenant quand on sait qu'un gallon d'essence à la pompe coûte 25¢ au Venezuela et 50¢ en Iran ou en Arabie Saoudite ! La consommation des pays producteurs de pétrole augmente d'environ 5% par année, le double du rythme de croissance mondial. Chaque augmentation du prix du baril de pétrole apporte plus d'argent dans ces pays et... oui, entraîne une augmentation de la consommation intérieure et une diminution des exportations...

Cette augmentation n'est pas seulement liée aux transports. L'Arabie Saoudite veut tripler sa production d'électricité d'ici 2020 avec l'ajout de centrales thermiques alimentées au gaz ou au pétrole. La demande en électricité est gigantesque, surtout à 1¢ le kW/h ! Le pétrole sert aussi à produire de l'eau potable dans les usines de désalinisation (une consommation prévue de 1 million de barils de pétrole par jour pour le Moyen-Orient d'ici 2020). Et à alimenter une industrie pétrochimique en forte expansion (la valeur ajoutée est plus grande quand on transforme d'abord une ressource sur place avant de l'exporter). Et à cultiver dans des pays arides, question de ne pas importer toute sa nourriture. Ou à permettre à des gens de skier à Dubaï, sous un climat torride, moyennant une consommation de 3 500 barils de pétrole (556 000 litres) par jour... Dubaï où la demande en électricité croît de 15% par année malgré que la consommation d'énergie par personne y soit déjà le double de celle de nos voisins du sud...

Cela s'ajoute à la forte augmentation de la consommation en Chine et en Inde, deux pays dont le développement serait freiné par des coûts élevés de l'énergie. L'Inde a dépensé 10 milliards de dollars en 2008 pour atténuer le choc que nous avons connu l'été dernier.

L'efficacité énergétique est-elle la solution ? Rubin consacre quelques pages à l'effet rebond, un concept décrit par William Stanley Jevons au 19e siècle et repris plus récemment par, entre autres, Daniel Khazzoom et Leonard Brookes. En bref, les gains en efficacité énergétique se traduisent presque toujours par une augmentation de la consommation. Par exemple, la consommation d'énergie pour chaque dollar de PNB aux États-Unis est tombé de 50% depuis 1975 mais la consommation a augmenté, pendant la même période, de 40%. Les gains en efficacité de l'ordre de 30% des moteurs à combustion interne a simplement encouragé l'utilisation accrue de véhicules plus gros, plus lourds, plus luxueux, plus performants et une augmentation des distances parcourues. Le moteur est plus efficace mais la consommation de pétrole augmente. Le même phénomène se produit à la maison et pour les voyages en avion.

pp. 96 et 97: « Dans le passé, le paradoxe de l'efficacité a servi d'argument contre l'efficacité énergétique autant que contre la conservation [de l'énergie]. Cela n'est certainement pas ici mon intention.

Au contraire, face au plus grand défi énergétique de notre époque, le besoin d'efficacité énergétique n'a jamais été aussi grand. Mais en même temps, nous devons tirer les leçons du passé quant à ce paradoxe.

Si l'efficacité doit conduire à une réelle conservation, on doit empêcher les consommateurs de profiter de ces initiatives pour consommer davantage. En bref, on ne peut laisser baisser le prix de l'énergie, sinon l'Histoire va se répéter et nous consommerons plus d'énergie.

Nous devons devenir plus efficaces sans être récompensés par une baisse de la facture énergétique. C'est à cette seule condition que l'efficacité conduira à la conservation.

Mais pourquoi deviendrais-je plus efficace dans mon utilisation de l'énergie si je ne suis pas récompensé par une baisse de ma facture ?

La réponse est simple. Les prix de l'énergie, et en particulier ceux du pétrole, augmenteront d'autant plus et d'autant plus vite si nous ne devenons pas efficaces. Au bout du compte, l'efficacité ne peut pas nous permettre de consommer plus de pétrole que ce que la baisse de production nous offre. La défi posé par l'attrition du pétrole est de consommer moins d'énergie, purement et simplement.»

Quelques faits relatés par Rubin à propos du transport maritime :

— Il y a quinze ans, un cargo passait 55% de son temps en mer et la proportion de containers dans le transport maritime était de 35%;

— Aujourd'hui, un porte-containers passe 85% de son temps en mer et la proportion de containers est de 75%;

— Les porte-containers d'aujourd'hui vont plus vite ce qui double la consommation de carburant par unité de fret;

— La facture de carburant quotidienne d'un cargo moyen est de 9 500$ lorsque le baril de pétrole se transige à 30$: elle est de 32 000$ lorsque le cours atteint 100$ le baril;

— À un prix de 150$ le baril, le surcoût relié au transport équivaut à toutes les diminutions de barrières tarifaires (la libéralisation du commerce à laquelle le GATT a travaillé si fort...) depuis les années 1970;

— L'impact de la hausse du pétrole sur la globalisation dépend des biens échangés. Les aciéries états-uniennes redeviennent compétitives face aux chinoises parce que le coût de transport annule les bénéfices en coûts de main d'œuvre. L'impact sera faible sur les produits à forte valeur ajoutée, dont le prix est élevé par rapport à leur poids, et sur les produits où l'intensité de main d'œuvre est élevée: les usines de semi-conducteurs, de haute technologie mais aussi de souliers et de vêtements resteront en Asie pendant un bout de temps. Le reste sera rapatrié ou rapproché, au Mexique, par exemple.

Les beaux côtés (introduction, p. 22-24) : « Du pétrole coûteux peut signifier la fin du style de vie que nous connaissons, mais peut-être cette vie n'était-elle pas si extraordinaire que ça dans le fond. Des villes polluées congestionnées par le trafic, le réchauffement du climat, les déversements de pétrole et autres formes de dégradation environnementale font tous partie de l'héritage du pétrole bon marché. [...]

Nous vivrons dans des communautés plus denses, conduirons de plus petits véhicules, vivrons plus frugalement et plus localement. [...]

Mais vivre dans un monde plus propre, efficace, dans une ville plus densément peuplée n'est pas exactement la fin du monde. Où iriez-vous en vacances : à Paris ou à Houston ? [...]

Préparez-vous à un monde plus petit. Bientôt, votre nourriture viendra d'un champ beaucoup plus proche de l'endroit où vous habitez, et les objets que vous achèterez viendront d'une usine du coin plutôt que de l'autre côté de la planète. Vous conduirez probablement moins et marcherez davantage, ce qui signifie que vous travaillerez et ferez vos achats plus près de la maison. Vos voisins et votre voisinage sont sur le point de devenir bien plus importants dans le monde plus petit qui nous attend dans un avenir rapproché. [...]

Nous pouvons changer. En plus de découpler l'économie du pétrole nous devons concevoir nos vies pour les adapter à un monde où l'énergie est plus restreinte. Et cela implique de vivre en utilisant moins d'énergie. Bien que plusieurs choses puissent mal tourner au cours de cette transition, ne soyez pas surpris si nous découvrons plus d'un avantage en cours de route [...] un monde beaucoup plus vivable et agréable que celui que nous sommes sur le point de laisser dernière nous. »

p. 221 : « En fait, il y a beaucoup d'autres attraits à la nourriture locale [à part les économies d'énergie et la réduction des gaz à effet de serre]. Vu que la nourriture va représenter une part de plus en plus grande de nos budgets, il sera avantageux de conserver cet argent dans nos communautés. Mieux vaut utiliser notre argent pour construire l'économie locale de l'avenir que de le laisser fuir vers la colonne «bénéfices» d'une compagnie éloignée. Et voici autre chose: la nourriture locale, en saison, sera toujours plus fraîche qu'un produit congelé importé. Cela signifie aussi qu'elle sera habituellement plus savoureuse et plus nutritive. »

pp. 248-253 : « Le changement arrive que nous le voulions ou non. [...] Nous savons que l'économie fondée sur de l'énergie bon marché [...] tire à sa fin. La question est de savoir si nous sommes prêts à faire face à la situation. Plus tôt nous verrons venir les choses, plus tôt nous pourrons nous y adapter et même profiter de ses effets. Nous pourrions découvrir demain plusieurs trésors cachés dans les sacrifices que nous faisons aujourd'hui.

Au lieu de villes qui étouffent dans le smog, entourées de banlieues et transpercées de multiples autoroutes, nous avons une réelle occasion de nous retrouver dans des voisinages et des villes plus petites, où l'on peut marcher [...].

Ces voisinages auront en commun une relation viable avec les fermes qui les nourissent. Les petites villes et les nouveaux villages de banlieusards seront des carrefours pour la production agricole locale. [...]

Dans un monde plus petit, tout ce qui permet de vraiment apprécier la nourriture reprendra de l'importance.

Les goûts et les coutumes locaux, qui semblaient destinés à disparaître devant l'assaut de la globalisation, vont obtenir un répit de dernière minute. Étant donné que la production reviendra à ses racines locales, les produits retrouveront leurs couleurs locales — peut-être pas les aciéries, mais certainement les usines de produits finis destinés au consommateur — et flatteront les préférences et les goûts de leurs clients. [...]

Ce qui distinguait votre environnement local va reprendre toute son importance. [...]

J'ai l'impression que nous deviendrons tous bien plus habiles pour réparer ce qui brise au lieu de le remplacer par du neuf. [...] Nous allons nous contenter de choses rapiécées et réparées et d'objets où l'aspect fonctionnel l'emporte sur la beauté. [...] La couture, le jardinage et la cuisine vont certainement revenir en force [...].

Pour la plupart d'entre nous aujourd'hui, le monde local est pratiquement sans importance. Tout comme nous ne mangeons pas localement, nous rêvons de passer notre temps ailleurs, pour les affaires ou le plaisir. Plusieurs d'entre nous avons plus en commun avec nos pairs ailleurs dans le monde qu'avec notre voisin d'à côté. Cela va bientôt changer. Au fur et à mesure que la rareté du pétrole rendra votre monde plus petit, vous passerez bientôt beaucoup plus de temps à parler à votre voisin et beaucoup moins de temps en avion à parcourir le monde. Ce qui impliquera que vous vous inquiéterez de moins en moins des problèmes mondiaux et de plus en plus des préoccupations locales. Nous deviendrons tous des gardiens beaucoup plus attentifs de nos petits mondes. Ceci devrait rendre nos voisinages de meilleurs endroits où vivre. »